Lecture : « Le Carnet d’Or » de Doris Lessing

Cette critique sera plus courte et inaugurera ce qu’on pourrait appeler le format 2.0 de mes articles de la catégorie éponyme, que je veux plus libre et évolutive dans le temps. C’est-à-dire que je compte continuer à parler des oeuvres qui me plaisent comme j’en ai l’habitude, en mélangeant analyse et ressenti à chaud, mais je n’ai pas forcément envie de faire des critiques d’aussi longue haleine comme j’ai pu le faire récemment pour Kra, par exemple. C’est-à-dire que je tirerai une critique globale, sans forcément trop me concentrer sur les détails, même si je ne néglige aucunement leur importance. Je ne veux plus, non plus, systématiquement écrire une critique pour un livre que j’ai lu. À la fin, et j’ai peur que ça ait pu se ressentir sur certaines des dernières critiques que j’ai écrit, j’avais l’impression d’être contraint de vite finir le livre pour écrire la critique et passer au livre suivant, etc, c’était devenu un cercle vicieux où inconsciemment je me mettais la pression pour tenir un rythme artificiel sur le blog qui devrait rester ce qu’il est : un hobby et un plaisir, pas un travail. Ce n’est pas avec ce que j’écris ici que je gagne mon argent, donc ça ne me fait pas de contraintes autres que celles d’un minimum de qualité quant à l’écriture des articles et mon compte rendu de mes lectures ou des autres oeuvres dont je serais susceptibles de parler ici.

Bref, au terme de ce laïus, il serait temps que je parle de ce magnifique roman de Doris Lessing. Avant tout, le résumé de l’éditeur :

Le prix Nobel de littérature 2007 a consacré Doris Lessing comme l’un des plus grands écrivains du xxe siècle. Parmi tous ses romans, remarquables d’intelligence, de passion et d’originalité, Le Carnet d’or demeure l’œuvre phare.
Une jeune romancière, Anna Wulf, hantée par le syndrome de la page blanche a le sentiment que sa vie s’effondre. Par peur de devenir folle, elle note ses expériences dans quatre carnets de couleur. Mais c’est un cinquième, couleur d’or, qui sera la clé de sa guérison, de sa renaissance.
Le Carnet d’or est le portrait puissant d’une femme en quête de sa propre identité, personnelle et politique.

Ce roman part donc du syndrome de la page blanche de la protagoniste, et débouche sur une quête d’identité personnelle, politique, intime et sociale. Anna Wulf (la protagoniste) note ses expériences dans différents cahiers de couleur, noir, rouge, jaune et bleu. Elle y sépare les diverses parties de sa vie, les analyse, les examine, et fait un premier constat dramatique au terme de chacun de ces cahiers : les mots seuls ne suffisent pas à rendre compte de la vie et du réel. Autrement dit, la vie, le réel, dépassent toujours ce qu’on essaie d’en dire à l’écrit. D’où la phrase de la préface de l’autrice : « Ne vous laissez pas dominer par la page imprimée. » (p. 27). À la lecture, on le remarque aussi, car le roman alterne une partie narrative (un roman dans le roman, Femmes libres) et les quatre carnets (noir, rouge, jaune, bleu), avant qu’Anna ne « se rassemble » dans le carnet d’or, qui arrive à la même conclusion. L’écart entre ces deux parties, au niveau des événements rapportés et répétés entre le roman Femmes libres et les carnets d’Anna, même des noms de certains personnages, nous montre l’apparente futilité des mots, en tout cas leurs fatales limites, pour ce qui est de raconter le réel et la vérité. Car Femmes libres nous montre le point de vue plus ou moins neutre d’un narrateur externe alors que les carnets nous montrent celui, subjectif, d’Anna.

Ironique, me direz-vous, un roman qui a l’air de dire qu’il ne suffit pas pour dire le réel : eh bien, l’ironie est un autre fil conducteur du livre, qu’elle soit grinçante, satirique ou tragique.

Finalement, on entrevoit aussi un tableau d’une partie de la société anglaise de l’époque, notamment l’engagement d’Anna au parti communiste et les agissements parfois absurdes de ce dernier, ainsi que des réflexions assez neuves, pour l’époque, sur les rapports femme-homme (malgré les positions polémiques de l’autrice à la fin de sa vie sur le féminisme…). Quand on connaît un peu la biographie de Lessing, on constate également la parenté claire entre elle et Anna Wulf, mais aussi la référence à une autre dame de la littérature anglaise, j’ai nommé Virginia Woolf.

Le Carnet d’Or est donc un magnifique roman psychologique, politique et social, mais surtout littéraire, parce que si les mots n’arrivent pas à rendre compte du réel, on peut au moins se réjouir que la littérature n’a pas fini d’avoir son importance pour nous aider à le comprendre au moins partiellement. Car si l’écrit tronque dramatiquement le réel et l’emprisonne dans les mots, ce dernier y échappe toujours, et donc l’entreprise de le cerner, en écrivant, a toujours du sens.

Doris Lessing, Le Carnet d’Or, LGF, 2020 (1ère édition 1984), 945p.

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